Minuit qui résonne dans la nuit londonienne. Les insomniaques sont de sortie, comme toujours. Mais ce soir, Charlie leur tenait compagnie. Elle avait de la pensée sombre ce soir, comme le disait si souvent sa mère. Tellement sombre que même le divin Morphée lui avait refus sa douce étreinte. Que pouvait-elle bien faire alors si même le sommeil refusait d'être son refuge ? Dans la chambre en face de la sienne, elle pouvait presque entendre respirer Emmalee. Emma, sa douce et tendre jumelle, son double, sa moitié. Sa plus longue et sa plus belle histoire d'amour comme elle aimait à le dire. Et comme elle était d'humeur nostalgique ce soir...

Elle se souvenait, elle se souvenait d'après-midis ensoleillés en famille. De rires d'adultes, de cris d'enfants, d'exclamation de surprises et de sourires en cascade. Il y avait cette odeur aussi de menthe fraîche qu'elle pouvait associer à son enfance. L'odeur de sa mère. La douceur d'une joue potelée contre la sienne. La joue de sa soeur. De grandes mains rugueuses qui la faisaient virevolter tellement hauts qu'elle en avait l'impression de voler parmi les nuages.
Elle pouvait même ce souvenir précisément d'un jour alors qu'ils étaient partis battre la campagne en famille. Les jumelles étaient alors 5 ans et demi. Chahuteuses et complices, leurs rires se répercutaient en écho parmi les arbres fruitiers. Leur mère s'emmêlait dans leur prénom et ça les rendait encore plus hilare. Ce qu'elles aiment faire tourner en bourrique les gens ! « Charlie, attends-moi ! » lui criait Emma mais Charlie, excitée comme une puce, devait déjà la pente. Tête en l'air comme pas deux, elle trébucha sur une racine et s'écroula lourdement dans l'herbe. De grosses larmes commencèrent à perler sur ses joues potelées et elle éclata en sanglots. Doucement sa soeur vient s'accroupir devant elle et l'embrassa tendrement sur le front avant d'y coller le sien. « Ne pleure plus, Char'. C'est rien du tout, tu vas voir je vais souffler dessus et t'auras plus mal. Alors arrêtes de pleurer, d'accord ? »

Un petit sourire mélancolique étira le visage de Charlie. Emma et elle avaient toujours été inséparables, indissociables l'une de l'autre. Et c'était toujours le cas. Elle vivait en fonction l'une de l'autre. Elles grandissaient, pensaient, réagissaient en fonction l'une de l'autre, toujours. Les gens pouvaient bien trouver ça assez bizarre ou puériles mais ce n'était pas le cas. Elles s'affirmaient chacune individuellement sans s'étouffer et avaient trouvé leur équilibre ainsi, sans pour autant oublier d'avoir une vie en dehors l'une de l'autre. Elles avaient des amis en commun, comme Andrew par exemple avec qui elles avaient littéralement grandi. C'était le meilleur ami qu'elle ait jamais eu. Il la comprenait presque aussi bien que sa soeur et surtout, elle voyait comment ces deux-là se tournaient autour sans savoir comment s'y prendre et elle trouvait ça tellement idiots mais tellement mignons qu'elle les poussait sans arrêt l'un vers l'autre. C'est le moins qu'elle pouvait faire. Pour elle, les amours c'était autre chose. Elle avait beaucoup de succès, comme sa soeur et elle aimait beaucoup plaire, séduire mais elle n'était tombée amoureuse qu'une fois et ça n'avait pas été concluant du tout. Alors elle avait arrêté d'y croire. L'amour de sa soeur lui suffisait. Elle avait une vie qui lui convenait parfaitement. Du moins, avant. Parce que l'irréparable allait se produire.
D'abord le Destin décida de frapper leur mère adoré. Cancer du sein, rien à faire. Elle était morte avant que qui que ce soit n'ait vraiment réalisé. Charlie avait été complètement désorientée pendant un bon moment mais grâce à sa soeur et à Andrew elle s'en était plus ou moins remise, même si cela lui était toujours extrêmement douloureux. Elle ne pouvait pas en dire autant de son père. Ce souvenir-là remontait à deux ans auparavant.
Il ne faisait pas particulièrement moche dehors mais son père ne semblait pas très disposé à conduire aujourd'hui. Elle était nerveuse, elle ne sentait vraiment pas cette balade en voiture. « Tu sais, Papa, t'étais pas obligé de m'accompagner. Je pouvais aller voir Maman toute seule. » Elle vit les jointures de son père blanchirent sur le volant et elle se mordit les lèvres. Il ne s'était jamais remis de la perte soudaine de sa femme. Elle s'apprêtait à ajouter autre chose quand elle vit le feu rouge les dépasser. Les dépasser ? Le feu rouge ?! Elle ouvrit la bouche mais rien n'en sortit car déjà une énorme camion enfonçait la portière côté passager.
Lorsqu'elle ouvrit les yeux, ce sont ses yeux qu'elle vit en premier et sa voix qu'elle entendit, sa main qu'elle sentit dans la sienne. Emmalee.

Et plus jamais ils n'avaient formé une vraie famille depuis ça. Emma n'avait jamais pardonné l'accident à leur père, Charlie avait accepté qu'elles s'installent ensemble rien que toutes les deux. Contrairement à sa soeur, elle avait plus ou moins gardé le contact avec son père mais rien n'était comme avant et elle le regrettait. Mais elle avait Emmalee, elle avait Andrew, elle avait ses études de psycho. Elle mordait la vie à pleine dent depuis qu'elle avait frôlé la mort. Et elle comptait bien continuer à en profiter.